Des écoles du Grand Nord québécois interdisent à leur personnel enseignant d'expliquer les origines de l'homme sous l'angle de la théorie de l'évolution de Darwin. C'est du moins ce que rapporte le magasine Québec Science.
Ce qui choquerait les directions d'école du Nunavik, c'est la parenté entre l'homme et le chimpanzé. Des parents inuits seraient choqués par cela. Les groupes pentecôtistes, de plus en plus présents dans le grand nord québécois, ne seraient pas étrangers à cette réaction.
Ce scoop est surprenant. Les québécois pensent en général que le créationnisme dans les écoles se limite au sud des États-Unis, alors que cela se passe dans leur propre province et que le phénomène est d'une ampleur insoupçonnée.
C'est un enseignant qui a appelé les journalistes de Québec Science pour les mettre au courant. Ce dernier aurait affirmé "Dès que je parle d'une période antérieure à 6 000 ans avant notre ère, je suis considéré comme fautif par l'administration de l'école". Les faits se sont déroulés à Salluit, dans l'extrême nord du Nunavik. Entre autres interdictions, l'enseignant ne peut répondre aux questions de ses élèves sur les origines de l'homme. Et cela n'est pas un phénomène isolé dans la commission scolaire de Kativik qui comprend 3000 élèves en provenance de 14 communautés inuites. La religion s'est faite sortir des écoles au Québec, mais elle pourrait bien y revenir et cela semble commencer par cette région qui offre un terrain fertile pour se genre d'intervention de la religion à l'école. Les théories de l'évolution n'ayant rien à voir avec la culture autochtone, pas plus que celle du créationnisme sont bel et bien des combats menés par les pentecôtistes et autres groupes chrétiens passéistes et conservateurs.
Voici l'article complet en question tiré de la revue Québec Science et que vous pouvez trouver sur le site www.cybersciences.com
Ricardo
Darwin sur la Glace.
Dans certaines écoles du Nunavik, on interdit aux professeurs d'enseigner la théorie de l'évolution.
par Noémi Mercier
L'accueil qu'a reçu Alexandre April, au début de l'année scolaire 2005, lui a fait l'effet d'une gifle. La directrice de l'école du village avait réuni tout le personnel pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux professeurs. Après les formules d'usage, quelques conseils furent prodigués aux enseignants: «Nous ne voulons pas entendre parler de la théorie de l'évolution ici», les a-t-elle avertis d'emblée. Depuis, chaque fois que le jeune enseignant du secondaire évoque l'évolution de l'homme dans ses cours de français et de sciences humaines, il se fait traiter de singe par ses élèves amusés. Certains parents, eux, ont été jusqu'à porter plainte contre ce prof récalcitrant, outrés de savoir qu'il affirmait en classe, malgré l'interdiction de la directrice, que l'être humain descend des primates.
On se croirait dans un de ces bastions créationnistes du Midwest ou du sud des États-Unis. Là-bas, des chrétiens conservateurs mènent une bataille acharnée pour que, dans les cours de science, la théorie de l'évolution soit remplacée par des explications divines des origines de la vie (Québec Science, avril 2006). Et pourtant, l'incident s'est déroulé au Québec, à Salluit, un village inuit de 1 150 âmes situé à l'extrême nord du Nunavik.
«Dès que je parle d'une période antérieure à 6 000 ans avant notre ère, date à laquelle Dieu aurait créé la Terre, je suis considéré comme fautif par l'administration de l'école», souligne Alexandre April, lui-même formé en biologie et en enseignement des sciences.
La tension a monté d'un cran en avril 2006, après qu'il eut présenté, dans un cours de première secondaire portant sur l'histoire des civilisations, Il était une fois l'homme, une série d'animation qui raconte l'histoire de l'homme à travers les âges.
La direction l'a alors convoqué pour le sommer de respecter la consigne «anti-évolution». «Faute de quoi, on m'a averti que je recevrais une lettre sanctionnant mon insubordination», raconte-t-il. Il lui est aussi interdit de répondre aux interrogations des élèves qui sont pourtant nombreux, dit-il, à le questionner sur ce sujet proscrit. «La plupart des professeurs préfèrent ne pas faire de vagues. C'est déjà éprouvant d'enseigner dans une communauté inuite: on est isolé, minoritaire. On ne veut pas froisser les gens, alors on préfère céder. Il s'agit toutefois d'une école publique et les élèves du Nord devraient avoir droit à la même éducation que les autres», estime l'instituteur qui a déjà remis sa démission et qui quittera la région d'ici quelques semaines. La directrice de l'école, Annie Alaku, et le directeur adjoint, Charles Roy, ont quant à eux refusé de répondre aux questions de Québec Science.
Salluit n'est pas le seul village du Nunavik où on escamote une partie de la matière pour ménager les sensibilités des habitants, selon Gaston Pelletier, directeur des services éducatifs à la commission scolaire Kativik. Cette organisation dessert près de 3 000 élèves dans 14 communautés inuites, sur un territoire de près de 650 000 km2. Ce serait surtout la parenté de l'homme avec les chimpanzés et les gorilles qui choquerait certains parents. «Dans quelques écoles, on veut bien parler de l'évolution des animaux, mais on ne parle pas des origines de l'homme. Dans la plupart des établissements, par contre, ces idées sont tolérées: on les explique à titre d'information mais, en général, on s'assure que les enseignants les présentent comme une théorie parmi d'autres, et non comme un fait», explique Gaston Pelletier. Face aux doléances des familles de Salluit, ce dernier a lui-même convenu avec l'administration de l'école «qu'on ne toucherait pas à l'évolution pour l'instant». «Quand il y a de la résistance dans une communauté, on respecte cela; on ne met pas de pression, par respect pour les croyances et la culture locales.»
Ces croyances n'ont cependant plus grand-chose à voir avec les traditions des Inuits. L'offensive anti-évolutionniste est plutôt associée à la ferveur religieuse des pentecôtistes, un mouvement protestant évangélique qui fait de plus en plus d'adeptes dans le Grand Nord depuis une quinzaine d'années (voir l'encadré). «Au Nunavik, il y a trois ou quatre enclaves où le pentecôtisme a une grande emprise sur une partie de la population. Ces personnes démontrent une certaine méfiance à l'égard de tout ce qui diffère du contenu de la Bible dont ils font une interprétation plutôt austère et traditionaliste», estime Jean Leduc, directeur de l'école de Kangiqsualujjuaq, dans la baie d'Ungava, où il travaille depuis bientôt 30 ans. Le mouvement demeure cependant marginal dans la plupart des villages, insiste-t-il. Son école à lui, par exemple, n'a jamais pris position contre la théorie de l'évolution ni reçu de plaintes à ce sujet.
N'empêche que des centaines d'élèves du Nord québécois se voient transmettre une version tronquée du programme, tandis que de nombreux autres apprennent à voir l'évolutionnisme comme une hypothèse qui n'a pas encore fait ses preuves. Au ministère de l'Éducation du Québec (MEQ), on marche sur des oeufs. «C'est une question délicate, qui touche autant les écoles, la commission scolaire, le ministère de l'Éducation, les Affaires autochtones... Nous allons vérifier s'il y a des ententes particulières au sujet de l'évolution, mais c'est à la commission scolaire de s'assurer que le programme du ministère est bien respecté», dit la relationniste Marie-France Boulay. La commission scolaire Kativik, créée en vertu de la Convention de la baie James et du Nord québécois pour permettre aux Inuits de gérer leur propre système d'éducation, jouit bien d'une certaine autonomie, notamment en ce qui concerne la culture inuite et la langue inuktitute. «À part cela, les écoles de Kativik sont censées suivre le même régime pédagogique que tout le monde», affirme Marc Décarie, de la Direction générale de l'Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec du MEQ, qui dit avoir informé ses supérieurs de la situation.
Le débat sur la théorie de l'évolution dans les écoles du Nunavik pourrait prendre une tournure très différente par rapport au reste de l'Amérique du Nord. Ici, on ne craint pas tant la confrontation entre religion et laïcité, droite et gauche, science et pseudo-science, mais plutôt une opposition entre Inuits et «Blancs du sud». «Nous sommes des Blancs, et nous enseignons dans une culture qui n'est pas la nôtre, poursuit Gaston Pelletier, de la commission scolaire Kativik. Les Inuits ont leurs propres idées et valeurs, et nous devons respecter cela. Nous leur apportons notre expertise, mais nous ne sommes pas des missionnaires et, pour l'instant, ils ne sont pas prêts! Et vous savez, il y a des problèmes bien plus urgents au Nouveau-Québec que l'enseignement de l'évolution de l'homme...»
Voici le droit de réplique de la Commission scolaire Kativik
Au coeur de l'incident de Salluit : non pas la censure mais le respect
MONTREAL, le 23 mai /CNW Telbec/ - La Commission scolaire Kativik ne
censure pas ses enseignants et aucun groupe religieux ne dicte à la Commission
scolaire ce qui peut ou non être enseigné dans nos écoles. Le coeur du sujet,
c'est qu'on s'attend à ce que les enseignants adhèrent aux objectifs des
programmes et respectent la culture des gens auprès desquels ils ont le
privilège de vivre et d'enseigner.
L'enseignement de la Théorie de l'évolution de Darwin ne fait pas partie
des objectifs de notre programme de sciences ou de sciences humaines du
secondaire 1 au secondaire 5. Il se trouve qu'il y a un paragraphe dans le
manuel de biologie au secondaire 3 qui mentionne la Théorie dans le contexte
d'une discussion sur les ossements. C'est tout. Si un enseignant ou une
enseignante brodent sur le programme, ceci n'est pas sanctionné par nos
conseillers pédagogiques ni par la Commission scolaire. A partir de l'année
scolaire 2006-2007, le programme d'études sera officiellement normalisé dans
toutes les écoles du Nunavik de manière à assurer que tous nos enfants aient
la même chance d'apprendre le même contenu et d'obtenir leur diplôme d'études
secondaires avec les mêmes connaissances.
L'enseignant au centre de cette controverse a décidé, de sa propre
initiative, d'incorporer la "Théorie de l'évolution" à plusieurs reprises dans
le contexte de son enseignement, malgré le fait qu'il avait été averti
plusieurs fois par la direction de l'école du caractère délicat de cette
question. Sa justification, c'est que les élèves du Nunavik "devraient avoir
le même droit à la même éducation que les autres élèves". Nous sommes
d'accord, mais les Inuit du Nunavik devraient également avoir le droit de voir
à ce que leurs points de vue et leur mode de vie soient respectés par nos
enseignants.
En vertu en particulier du chapitre 17 de la Convention de la Baie-James
et du Nord québécois, protégée par la Constitution, et aussi conformément à la
Loi sur l'instruction publique pour les autochtones cris, inuit et naskapis,
la Commission scolaire Kativik a le droit et la responsabilité d'élaborer des
programmes et du matériel pédagogique en inuktitut, en anglais et en français,
du moment que nous rencontrons les objectifs prescrits par le ministère de
l'Education, du Loisir et du Sport. Nos élèves ont le même droit à
l'information que tous les autres élèves au Canada ou en Amérique du Nord. Il
y a des livres sur la "Théorie de l'évolution" dans nos bibliothèques
scolaires, que nos élèves sont libres de consulter et tous nos élèves ont
accès au World Wide Web.
Nous encourageons nos élèves à avoir l'esprit ouvert et à penser par
eux-mêmes. Nous nous attendons à ce que nos élèves développent leur respect
des autres cultures et reconnaissent la diversité culturelle et les valeurs
des autres peuples. Nous avons certainement le droit de nous attendre au même
traitement de la part de nos enseignants.
Renseignements: Debbie Astroff, Agente de relations publiques,
Commission scolaire Kativik,
Évolution au Nunavik
Alexandre April
Mardi 27 Juin 2006 7:16:21 am