À quoi ressemblera le futur lieu d'enfouissement technique régional qui sera développé à Saint-Irénée ?

Lettre ouverte aux MRC de Charlevoix

Vue près de Saint-Irénée

Vue du fleuve et de la route 362 à
proximité de Saint-Irénée.
Photo: Jean-Marie Chabot, © Le Québec
en images, CCDMD.

La réponse est simple, disent plusieurs personnes : il sera comme les autres dépotoirs… Posons alors la question! Pourrait-il en être autrement? C’est dans cet esprit que, le 10 mai dernier, trois membres du Mouvement des citoyens de Charlevoix pour un environnement sain ont accepté votre invitation « privée » au cours de laquelle vous nous avez présenté quelques aspects techniques du futur lieu d’enfouissement technique (LET) des deux MRC de Charlevoix.

Cette information, bien que pertinente et intéressante, surtout au plan de la technique de confection d’un LET, laisse plusieurs questions en suspens. Vraisemblablement, la réunion visait à nous rassurer et à tenter de nous convaincre de la sécurité à toute épreuve du LET au plan environnemental. La nouvelle technologie semble permettre d’éviter tout écoulement dommageable, mais l’expérience nous a appris que rien n’est parfait en ce domaine… Après mûre réflexion et un temps de recherche documentaire, nous vous soumettons l’état de nos réflexions à cette étape-ci du processus de planification du futur site et un certain nombre de questions.

Nécessité de l’nformation publique

En raison de l’importance de l’implantation d’un LET, il importe, par souci de transparence, d’équité et du droit à l’information, que les deux MRC de la région de Charlevoix et les conseils municipaux devraient prendre toutes les mesures pour informer toute la population sur ce projet qui aura des répercussions à court, moyen et long terme pour Saint-Irénée en premier lieu, mais aussi pour les autres municipalités. Il faut dépasser les ornières des sentiers bureaucratiques trop balisés définis par les règlements du ministère et faire connaître toutes les dimensions du futur LET à la population avant que ce ne soit un fait accompli. On le sait, une fois l’exigence formelle de la consultation publique du Bureau d’audiences publiques passée, tout est joué ou à peu près.

La protection de l’eau : objectif prioritaire

L’importance des enjeux liés à l’implantation de ce LET à St-Irénée est d’autant plus cruciale que s’impose une analyse structurée et très rigoureuse de la situation des eaux et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le futur site se trouve sur une sorte de plateau où l’eau est abondante et bien filtrée par un sol très sablonneux; les cartes indiquent bien la présence d’un immense « esker » à peu près à l’endroit stratégique choisi (voir extrait de carte ci-joint). L’esker étant une source d’eau extrêmement importante et, normalement, d’une qualité exceptionnelle, il faut questionner le choix du site. La question s’avère d’autant plus d’actualité et paradoxale que la municipalité de St-Irénée cherche une source d’eau potable depuis quelques années déjà, mais sans succès… La situation devient aussi préoccupante dans la mesure où l’esker en question se trouve à la tête des eaux et des bassins versants importants. Par ailleurs, même si Charlevoix profite de magnifiques rivières (Malbaie, du Gouffre, Jean-Noêl), il est assez préoccupant de constater que la région ne compte aucun comité des bassins versants alors que la région de la capitale nationale en compte déjà quatre. Le conseil du bassin versant de la rivière Montmorency fournit un bel exemple d’actions pour la protection de l’eau (http://www.rivieremontmorency.com/nouvelles.php).

Dans cet ordre d’idée, il appert qu’en vertu de l’article 16 de la loi sur les lieux d’enfouissement technique, « L'aménagement d'un lieu d'enfouissement technique est également interdit sur un terrain en dessous duquel se trouve une nappe libre ayant un potentiel aquifère élevé. Aux fins du présent article, il existe « un potentiel aquifère élevé » lorsqu'il peut être soutiré en permanence, à partir d'un même puits de captage, au moins 25 m 3 d'eau par heure ». D. 451-2005, a. 16.

Une analyse poussée permettrait probablement de déterminer que la source d’eau présente dans le sous-sol où les MRC projette d’établir le site d’enfouissement fait partie de ce que l’on peut qualifier de « potentiel aquifère élevé ».

D’ailleurs, il est assez surprenant d’y voir le site d’enfouissement de la compagnie SANI-CHARLEVOIX déjà installé sans que l’on sache si toutes les normes d’étanchéité sont respectées.

Dans ce secteur, se trouve déjà la source d’approvisionnement d’un système d’aqueduc privé (le réseau du rang St-Pierre, St-Irénée) qui a fait l’objet d’un certain nombre d’avertissements au cours des ans à l’effet que l’eau est contaminée.

Il est donc vital pour la qualité de l’eau de tout mettre en œuvre pour éviter toute « surverse » de lixiviat dans la nature, donc dans l’eau, particulièrement à cet endroit stratégique.

Les critères de choix de ce site ne sont pas connus

Au moment d’écrire cette lettre, le choix du site semble faire consensus et la décision déjà prise. Par contre, les critères qui ont conduit à cette conclusion restent flous. Est-ce tout simplement en raison de la proximité de la route 138 et du cercle de concentration d’une production agricole importante? Au fait, le site sera fort utile aux producteurs d’animaux qui pourront y déposer les carcasses de bêtes mortes à un coût très bas... Si c’est cela, nous sommes devant une perspective à court terme. Si l’on se fie au contenu des arguments mis de l’avant à ce jour, en apparence, les décideurs n’ont pas en main une connaissance des conditions géologiques et hydrologiques du futur site? Dans ces conditions, quels sont les vrais motifs qui ont prévalu dans la proposition de ce site? Quels autres lieux ont été envisagés?

Le LET doit faire l’objet d’une réflexion dans une perspective à long terme

L’étape actuelle devrait favoriser une réflexion en profondeur sur la planification du futur LET. Des mesures préventives peuvent être envisagées et inviter à un changement des mentalités et des habitudes de consommation et de traitement des matières résiduelles de la part des administrateurs municipaux, mais aussi et surtout de la population en général.

Pour nous , il est clair que, dans une perspective de développement durable, le choix du site d’enfouissement ne doit pas d’abord répondre aux seules préoccupations économiques à court terme ou aux pressions de groupes d’intérêts particuliers. Comme le disait récemment Hubert Reeves, astro-physicien reconnu mondialement, « Il n’est jamais superflu de rappeler la définition proposée par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement : un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs . Ce n’est pas facile. C’est pourtant moralement, socialement et écologiquement indispensable ».

Ce questionnement interpelle les chercheurs, les gouvernements, les municipalités et les citoyens sur les manières traditionnelles de « gérer » nos résidus. Des perspectives et des stratégies novatrices s’imposent parce que les enjeux portent sur des questions cruciales auxquelles il faut trouver des réponses.

  1. Comment diminuer le volume de matières à enfouir qui augmente constamment?
  2. Comment mieux protéger l’environnement?
  3. Comment recycler davantage?
  4. Comment diminuer les coûts de l’enfouissement?
  5. Comment s’assurer que le lieu d’enfouissement technique est d’une sécurité à toute épreuve pour protéger la qualité de l’eau?

Plusieurs exemples montrent qu’il est possible de trouver des réponses à de telles questions. [...]

Dans Charlevoix comme ailleurs, il reste bien des questions à poser pour diminuer la quantité de déchets à enfouir : des règlements s’imposent et les différents paliers de gouvernement doivent pousser la réflexion toujours plus loin. Diminuer le volume d’ordures à enfouir signifie des économiques et la durée de vie plus longue d’un LET. Au Québec, à chaque heure, chaque jour, 1200 tonnes de produits divers terminent leur cycle d’utilisation et seulement 40 % de ces résidus seront recyclés d’une façon ou de l’autre. En outre, le tiers des matières organiques pourrait connaître une vie utile au lieu de finir dans un site d’enfouissement et générer des gaz dans l’atmosphère. Quant on sait que 5,8 % des émissions de gaz à effet de serre générés au Québec le sont par les émanations des sites d’enfouissement, il y a matière à questionnement. Tous les déchets de table, des épluchures de pommes de terre jusqu’aux restes de pâtes alimentaires pourraient devenir du compost utile qui peut remplacer avantageusement les engrais industriels néfastes pour l’environnement.

À cet égard, certaines MRC proposent des mesures novatrices. Par exemple, la MRC des Maskoutains, dans la région de St-Hyacinthe assure la cueillette des ordures, mais aussi le recyclage et le compostage industriel. Chaque personne possède trois bacs, dont un bac « spécial » réservé à la cueillette des matières organiques « compostables ». Le résultat est simple, la Régie des déchets intermunicipale des Maskoutains fait une cueillette en alternance, une semaine elle ramasse les ordures et la semaine suivante les matières organiques qui vont au compost. Chaque printemps, la MRC offre gratuitement du compost aux citoyens…

De petite municipalité comme la communauté crie de 1300 habitants, Wemindji, dans le Grand Nord québécois, a mis en place un système de collecte sélective en 2006. L’objectif de la municipalité : protéger la durée de vie de son site d’enfouissement en diminuant le volume de matières à y déposer et, comme le souligne Johnny Mark, conseiller de la communauté, « parce que la terre, pour les membres de la communauté crie, ne doit pas servir à faire des dépotoirs… »

Si des projets soucieux de l’environnement sont réalisés ailleurs, pourquoi ne pas innover en réfléchissant de quelle manière réduire la quantité de tonnes de détritus à enfouir dans Charlevoix? Est-ce possible de développer des pratiques alternatives aux façons de faire traditionnelles? Comment faire pour garantir que la réserve d’eau de la région ne souffrira pas de l’utilisation du site projeté à St-Irénée? Comment faire en sorte, au-delà de la sécurité relative des installations, protéger les bassins versants? Cette dimension devrait faire l’objet d’une attention particulière. De plus en plus de gens s’en préoccupent. On le voit dans l’actualité. L’exemple d’autres régions nous invitent à la prudence; l'Association de protection de l'environnement du lac Raymond et de la rivière du Nord ainsi que son président, l'homme d'affaires Guy Drouin, viennent d’intenter une poursuite d’un demi million de dollars à la municipalité de Ste-Agathe-des-monts parce que le site d’enfouissement a provoqué une « surverse » dans le lac et la rivière, polluant l’eau de phosphore et coliformes (Le Devoir, 7 juin 2007).

Est-il possible de faire la promotion du recyclage et du compostage, tant domestique qu’industriel? Certaines personnes font déjà du compost domestique, mais pourquoi ne pas développer le compostage industriel comme le fait la MRC des Maskoutains? Pourquoi ne pas organiser régulièrement des campagnes de sensibilisation annuelle pour promouvoir le recyclage du papier, du verre, du plastique, des métaux et autres matières recyclables? Il y a déjà un travail fait en ce sens dans la MRC de Charlevoix, mais il reste encore beaucoup à faire. Pourquoi ne pas promouvoir davantage le recyclage des déchets toxiques d’une façon efficace et sûre? Pourquoi ne pas promouvoir des changements dans les pratiques des restaurants de restauration rapide (grands pollueurs s’il en est avec leurs ustensiles, assiettes, verres en styro-mousse ou en plastique, etc.)? Pourrait-on imaginer, par exemple, éliminer, les millions de sacs de plastique qui prennent des centaines d’années à se désintégrer? [...] Quand les commerces (quincailleries, pharmacies, boutiques de vêtements, SAQ, etc.) demanderont aux clients d’apporter leurs sacs en tissu ou en un matériel recyclable ou de payer 5 sous par sacs de plastique utilisés pour l’emballage, la situation va changer. Pensons au recyclage des bouteilles et des cannettes! Avant l’adoption de politiques contraignantes et « monnayables », tous ces résidus se retrouvaient dans les dépotoirs, maintenant, elles rapportent. Le virage devient possible et des alternatives existent (sacs, assiettes, ustensiles fabriqués à partir de fibres végétales se retrouvent déjà sur le marché).

Ces quelques questions ne sont que l’amorce d’un débat qu’il faut faire dans toute la société. Remettons en question nos habitudes! Comme le souligne le rapport Bruntland : Pensons globalement et agissons localement! Pourquoi ne pas observer l’état de la planète et se dire ensemble : il est grand temps de poser des gestes préventifs afin que l’environnement soit sain et durable maintenant et demain pour nous, nos enfants et nos petits-enfants.

Chaque petit geste compte. Chaque personne doit donc se questionner et agir. Chaque municipalité doit en faire autant. [...]

Malgré la longueur de notre propos, nous espérons susciter un débat et nous en attendons la suite.
Nous vous remercions de votre attention.

Bien à vous,

André Jacob, porte-parole
Mouvement des citoyens de Charlevoix pour un environnement sain

[NDLR: Cette lettre a été envoyé aux maires des MRC de Charlevoix, est et ouest]

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