Entrevue avec Luc Bouthillier, Professeur titulaire au département des sciences de la forêt à l'Université Laval.
Suite au lancement de la campagne Les aires protégées au Québec: on dort comme une bûche, La Vie Rurale est allée rencontrer Luc Bouthillier, Professeur titulaire au département des sciences de la forêt à l'Université Laval. Monsieur Bouthillier est expert en économie forestière. Tous ceux qui ont vu L'Erreur Boréale, le célèbre pamphlet de Richard Desjardins, ont fait connaissance avec Luc Bouthillier. Vers la fin du film, lorsque Richard Desjardins va interroger des futurs ingénieurs forestiers, c'est dans la classe de Luc Bouthillier qu'il était.
Actuellement, au Québec, nous n'avons que 3,4% du territoire en aires protégées où toute activité forestière et minière est interdite. C'est peu par rapport à l'ensemble du Canada qui lui a 10% de son territoire en aires protégées. D'autres pays font beaucoup mieux dans ce domaine que ce maigre 10%. Les aires protégées ne constituent pas le projet de doux rêveurs citadins du plateau Mont-Royal, c'est le projet des communautés rurales qui doivent s'approprier le territoire d'une manière différente. Ça ne veut pas dire mettre de côté la coupe du bois, mais ça veut dire diversifier son économie régionale. L'aire protégée permet cela en développant le tourisme vert et le développement durable. Rencontre avec un professeur passionné par le sujet :
Q- Comment avez-vous été approché pour vous impliquer dans cette cause qui vise à augmenter la part du territoire en aires protégées au Québec?
R- C'était durant le Congrès de l'Acfas en 2005 où je faisais une conférence sur les aires protégées. La stratégie existe depuis l'an 2000 mais ça ne va pas vite car les milieux ressources voient ça comme si on leur enlevait leur gagne-pain. C'est pourtant une façon de diversifier l'économie d'une région ressource que de créer une aire protégée. Quelle belle manière d'occuper le territoire, de se l'approprier. Mais souvent, les élites locales et l'industrie forestière affirment que ce sont là des préoccupations d'écologistes du plateau Mont-Royal.
Q- Quel objectif poursuivez-vous avec On dort comme une bûche?
R- Un objectif esthétique, économique et de développement durable. Tout ça pour aider l'industrie forestière à faire du développement durable. On peut voir l'exemple de la Suède et de la Finlande à ce chapitre. La diversification de l'utilisation qu'on fait de la forêt tient à une chose : le marché de la pâte et papier va diminuer. Il faut impliquer l'industrie et l'aider à se diversifier et se distinguer.
Les partenaires de l'initiative Aux arbres citoyens! ont identifié deux grands sites à protéger en forêt boréale, encore intacts, ou en partie, qu'ils proposent au gouvernement pour l'aider à atteindre l'objectif de 8% de territoire protégé qu'il s'est fixé. Ces deux sites sont très vastes. Le premier, le Pascagama, 7400 km carrés de forêt intacte, parrainée par Richard Desjardins et qui se situe aux limites de l'Abitibi, du Nord-du-Québec et de la Mauricie. Le Second est la Vallée des Montagnes Blanches, 9000 km carrés chevauchant le Saguenay-Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord, parrainé par le comédien Germain Houde. Il s'agit d'une pouponnière de caribous.
Q- Pourquoi ces deux aires particulières à protéger? Pourquoi celles-là? Y aurait-il d'autres sites à protéger?
R- Parce que ces deux territoires sont énormes et permettront d'atteindre le 8% d'aires protégées en territoire québécois. C'est aussi parce que ce sont deux territoires de forêts vierges. C'est à la jonction de territoires autochtones et ça pourrait nous permettre de découvrir, par le fait même, leur foresterie. Mais pourquoi ces deux territoires en particulier, je ne saurais dire. En ce qui a trait au territoire du Pascagama, cela a une valeur personnelle pour moi car j'y ai effectué mon premier travail étudiant en foresterie, là-bas, il y a trente-quatre ans. C'est vraiment superbe.
Q- Considérez-vous les fiducies et réserves privées dans le 3,4% d'aires protégées actuelles.
R- Il faudrait vérifier, mais je ne pense pas. Et même si c'est le cas, ce sont des territoires si petits qu'ils ne pèsent pas lourd dans l'équation.
Q- Que pensez-vous des fiducies et réserves privées en tant qu'alternative des terres publiques protégées?
R- Ce serait une alternative, un ajout si cela devient des territoires de plus grandes superficies. On doit les inclure.
Q- Votre implication est-elle bien vue par votre profession ou vous considère-t-on avec méfiance?
R- C'est mal perçu par certains qui me voient comme un traître. Surtout ceux qui ne mettent pas les pieds sur le terrain. Je suis stigmatisé par ceux-là, mais d'autres saluent mon geste. «Remettre en question», c'est pour ça qu'on paie un professeur d'université. C'est mon travail et je le fais sans me gêner.
Q- Quel est l'avenir de la forêt publique en dehors des aires protégées?
R- Nous allons vivre une période creuse par manque de matière et un marché à la baisse. Mais la forêt ça pousse très bien, c'est résiliant. Je suis un optimiste inquiet. Optimiste envers la forêt qui, au bout de cent ans peut reprendre tous ses droits. Mais je suis inquiet pour les gens qui vivent de la forêt. S'il n'y a plus de travail dans une région durant cinq ans parce qu'il n'y a plus d'arbres prêt à couper, que va-t-il arriver? Je m'inquiète davantage pour les gens.
Q- Au-delà de la Forêt Montmorency, dans la Réserve Faunique des Laurentides, c'est rasé à perte de vue. Ce territoire est-il une aire protégée et si oui protégée de quoi?
R- Dans une réserve faunique, on a une préoccupation pour la faune mais ce n'est pas une aire protégée. Des coupes de bois, la création d'une mine etc., tout y est possible. Selon la loi sur les forêts, une réserve faunique et une forêt publique, c'est la même chose. De voir des coupes à blanc à perte de vue dans une réserve faunique, c'est tout à fait possible. Une aire protégée ce serait, par exemple, le Parc de la Jacques Cartier. Pas d'exploitation forestière ou minière là, seulement quelques aménagements récréatifs. C'est donc dire la petitesse de ces aires au Québec, il n'y en a vraiment pas beaucoup. Pour en revenir à la Réserve Faunique des Laurentides, je me souviens durant les années quatre-vingts de l'épidémie de tordeuse. De grandes coupes à blanc de peuplements touchés furent faites. Ce fut une récolte préventive pour ne pas perdre ce bois. C'était très laid après et très critiqué comme décision, mais maintenant, après vingt ans, c'est très beau, la forêt reprend ces droits. Une zone de coupe à blanc n'est pas pour autant un désert. Parfois on replante, il y a aussi de la régénération naturelle.
Q- En terminant quelques mots ou commentaires pour nos lecteurs?
R- Lorsque l'on va sur http://www.globalforestwatch.org/french/canada/index.htm on découvre vu des airs l'évolution de la forêt canadienne en dix ans. 60% de cette forêt a été touchée durant la dernière décennie. C'est très intéressant de voir l'impact de l'activité humaine sur la forêt en un court laps de temps. Ça fait aussi un peu peur. La campagne On dort comme une bûche en est une de sensibilisation mais c'est aussi pour jeter des ponts entre les citadins et les ruraux. Même si le mouvement est initié par le milieu urbain, c'est important que les ruraux s'approprient ces préoccupations. Les communautés doivent devenir responsables du territoire habité.
Voir aussi sur ce sujet : http://www.auxarbrescitoyens.com/