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Notre agriculture traditionnelle sous respirateur artificiel

Le ministre fédéral de l’agriculture et de l’agroalimentaire, Andy Mitchell a annoncé le 29 mars 2005 la création d’un programme d’aide pour les agriculteurs canadiens de 1 milliard de dollars. Ces derniers sont à court d’argent (c’est pas nouveau) et doivent composer avec de faibles revenus agricoles. Il n’en fallait pas plus pour que le président de l’UPA, Laurent Pellerin, en vienne à la conclusion qu’Ottawa reconnaît enfin la crise qui secoue le monde de l’Agriculture.

Ottawa ne croit qu’en la campagne électorale qui s’en vient. Le gouvernement minoritaire de Paul Martin, dans lequel Andy Mitchell siège, est au bord du gouffre. Conservateurs et bloquistes préparent déjà leur campagne. Quoi de mieux pour les libéraux que d’allez acheter le vote de ces bons vieux fermiers conservateurs? Après le scandale des commandites, le scandale de l’agriculture traditionnelle.

Car ce 1 milliard n’est qu’un début. Nous sommes 30 millions de canadiens, ce foutu nouveau programme nous coûte individuellement, en date du 29 mars 2005, 33,33$ de nos taxes si tant est que chaque canadien paie ses impôts. Permettez-moi d’en douter! Cela s’ajoute aux 4 milliards déjà dépensés pour l’agriculture (voir article précédent sur la crise du bœuf). Les besoins sont illimités! Tant que nous pouvons y perdre notre argent, l’agriculture traditionnelle l’absorbera en pures pertes. C’est un secteur de l’économie inefficace. Les bas prix des aliments non biologiques sont fictifs. Ajoutez au prix des aliments tous les programmes d’aide et de subventions et ils risquent de vous revenir plus cher que les produits bio non subventionnés. Seuls les consommateurs qui ne paient pas d’impôts y sont gagnants. Mais gagnants de quoi au juste? D’une nourriture de moins bonne qualité, moins naturelle?

Au-delà des enjeux politiques, le ministre Mitchell semble avoir compris une chose : l’objectif qu’il poursuit avec ce milliard permettant à notre agriculture traditionnelle d’être plus longtemps sous le respirateur artificiel avant sa mort annoncée est bien sûr le facteur humain. Il faut alléger les pressions financières immédiates des agriculteurs au bord du désespoir. Puis, il faut encourager la transformation de l’industrie, traiter des causes de la baisse de revenu agricole.

Les citadins désirent des produits plus naturels, pas nécessairement bio, mais plus sains quitte à les payer un peu plus chers. Les gens de la ville veulent que les agriculteurs soient plus respectueux de l’environnement. C’est ironique car ce sont les villes qui polluent le plus. Ceci dit, qui fait vivre la campagne? Le client a toujours raison. Qui peut nourrir ces villes? Le monde entier. Si l’agriculture d’ici ne satisfait pas ces exigences nouvelles, elle disparaîtra. Nous voyons actuellement des fruits biologiques d’Afrique du Sud et de l’Argentine à des prix semblables aux fruits de l’agriculture traditionnelle du Canada et des États-Unis. Devinez quel fruit choisira le citadin conscientisé? Les habitudes de consommations changent actuellement. La population du Canada est sensible aux problèmes de l’environnement. La preuve : la ratification forcée du protocole de Kyoto par Paul Martin à cause des pressions populaires. L’intérêt croissant pour le développement durable. L’acceptation au Québec des recommandations du rapport Coulombe de réduire, entre autres, les coupes forestières de 20%. Ceux qui dictent les nouvelles lois du marché à l’encontre de toute logique capitaliste sont les consommateurs.

Avant de s’immoler par le feu et de crier à l’injustice sous le prétexte de nourrir la terre, les cultivateurs devront, avec ce nouveau milliard en poche, se poser des questions pour retrouver la santé financière tant recherchée. Une remise en question complète de l`agriculture s’impose. Les consommateurs commencent à se rendre compte qu’ils paient deux fois pour leur panier d’épicerie et ils ne savent même plus de quoi il est composé. Ne serait-il pas plus logique de payer plus cher nos aliments mais que pas un sous de nos impôts aille dans un secteur qui devrait être prospère et autonome?

Que serait-il arrivé sans ce milliard supplémentaire et l’argent des provinces qui va s’ajouter à celui-ci dans une proportion 60/40 tel que demandé par le ministre Mitchell? Je vais vous le dire : beaucoup plus d’agriculteurs auraient fait faillite cette année. Au lieu de cela, la mort annoncée de leur entreprise est reportée d’un an, peut-être deux. Dans un tel contexte, seuls les plus gros et les plus rapaces survivront. Notre alimentation serait alors la chasse gardée de quelques producteurs qui feraient pousser ce que bon leur semble de la manière qui leur convient.

Personne ne peut se lancer dans l’agriculture traditionnelle aujourd’hui. Les seuls prêts de démarrages ne peuvent être remboursés durant toute une vie. Il n’y a aucun avenir dans ça. Ça ressemble déjà à une chasse gardée.

Dans d’autres formes d’agriculture plus respectueuse de l’environnement, là, c’est différent. Partir petit pour croître éventuellement, n’est-ce pas là un principe économique de base… C’est pourtant l’inverse qui est appliqué comme principe dans l’agriculture traditionnelle. Partir immense pour s’étioler toute une vie… Pourquoi l’UPA ne veut-elle rien savoir de l’Union Paysanne et vice-versa? L’Union fait la force et pas seulement au Québec mais partout au Canada. Le temps presse, il faut sauver un secteur économique de première importance. L’agriculture traditionnelle est sous le respirateur artificiel et les citoyens sont bien fatigués de la voir souffrir sans aucune chance de rémission. Avec la mondialisation, il n’est pas fou de penser que les agriculteurs chiliens, américains, argentins, espagnols, marocains etc. deviennent nos fournisseurs en alimentation. Nos agriculteurs n’ont plus le monopole de nos assiettes même s’ils sont toujours apprécié par les gens de la ville. Il y a eu dernièrement une certaine cassure causée par le non-respect de l’environnement de certains producteurs (de porcs entre autres). C’est un signe que le secteur a de la difficulté à s’adapter au marché des années 2000.

Le métier d’agriculteur en a également pris pour son rhume avec les coups d’éclats de quelques geignards qui ne proposent pas de solution en échange de subsides et, enfin, une qualité de produit déclinante. Il y a en plus le mystère entourant le contenu de nos assiettes (OGM?, Pesticides? Provenance etc.) Rien n’est fait pour nous rassurer et nous informer. Les agriculteurs semblent les complices de multinationales de l’agroalimentaire occultes par leur silence. Tout ça n’est pas très appétissant.

Profitez bien de ce milliard chers amis agriculteurs, il se pourrait bien que ce soit le dernier avant longtemps. Dès qu’un gouvernement majoritaire va rentrer à Ottawa ou dans votre province, vous serez abandonnés à votre sort. Les canadiens sont fatigués de payer pour votre incapacité chronique à vous rentabiliser et ça, les gouvernements le savent aussi. Il reste à souhaiter que plusieurs d’entre vous trouvent leur chemin dans le cadre d’une agriculture à dimension humaine et respectueuse de l’environnement. Ce n’est pas une certitude de rentabilité mais c’est au moins être à l’écoute de sa clientèle. Quant aux autres, et bien sachez que nous serons très attristés de vous voir sombrer, car vous bénéficiez encore d’un grand capital de sympathie, mais comprenez qu’il y a des limites à l’acharnement thérapeutique.

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