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Quand la loi restreint le développement

C'est une histoire toute simple. Elle aurait pu se dérouler dans n'importe lequel des villages québécois. Elle a eu lieu chez-moi, dans mon village, à Montbeillard. Je vous la raconte et vous fais part de quelques réflexions qu'elle m'inspire.

L'histoire

Nancy habite Rouyn-Noranda et y travaille dans un Centre de la petite enfance. Native de Montbeillard, la vie à la campagne lui manque. Elle rêve, avec son conjoint et son jeune enfant, d'un retour dans son village natal, d'y construire une maison et d'y offrir un service de garde en milieu familial. Son père, producteur agricole à la retraite, lui offre une parcelle de terrain de 0,3 hectare à proximité de la résidence familiale. Le projet se présente bien. Il faut tout de même le soumettre à la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) car on est en zone verte même si la parcelle convoitée n'est pas cultivée et qu'elle a fait l'objet, il y a une douzaine d'années, d'une décision de cette même commission y autorisant la construction d'une maison unifamiliale. Une décision qui est toutefois demeurée sans suite le lot n'ayant pas été cadastré. L'autorisation de la CPTAQ ne devrait donc pas poser problème.

Saisi du dossier, le Comité consultatif agricole de la ville de Rouyn-Noranda refuse d'appuyer la demande de Nancy auprès de la CPTAQ alléguant que «le morcellement amènerait un perte de superficie pour l'agriculture». Par la suite, coup de théâtre! le conseil municipal de la Ville de Rouyn-Noranda - à l'exception des deux conseillers membres du Comité consultatif agricole - appuie la demande de Nancy auprès de la Commission voyant là une initiative qui «favoriserait la vitalité du quartier de Montbeillard». Quelques semaines plus tard tombe la décision de la CPTAQ : la demande doit être refusée «pour préserver l'homogénéité de la communauté agroforestière et pour maintenir au maximum les conditions favorables au développement de l'agriculture».

Rejointe quelques semaines plus tard, et visiblement désenchantée, Nancy nous confie qu'elle n'a pas l'intention d'en appeler de cette décision, qu'elle et son conjoint sont «rendus ailleurs», bref qu'ils nourrissent d'autres projets.

Quelques réflexions

La demande de Nancy portait sur une superficie de 0,3 hectares soit environ la centième partie d'un lot situé dans un quartier qui ne compte que quelques producteurs agricoles dont le plus rapproché se trouve à 2 kilomètres, un quartier qui, par ailleurs, dispose d'une impressionnante quantité de terres en friches. Dans les circonstances, on voit difficilement en quoi le dézonage de cette petite parcelle aurait pu nuire au développement de l'agriculture à Montbeillard. Par contre, la construction d'une nouvelle résidence, l'arrivée d'une jeune famille, son éventuelle participation à la vie communautaire et à l'activité économique étaient incontestablement de nature, comme le conseil municipal l'a bien saisi, à favoriser la vitalité de Montbeillard. Qu'on songe seulement à l'école primaire que l'enfant de ce couple aurait fréquentée dans quelques années, une école dont le maintien s'avère de plus en plus difficile. Qu'on songe à la trentaine d'enfants de moins de six ans que compte Montbeillard où il n'existe aucun service de garde, le plus rapproché étant à Rollet, à une dizaine de kilomètres, qui accueille 9 enfants dont 4 proviennent de Montbeillard.

L'un des aspects les plus troublants de cette histoire, c'est qu'une décision aux répercussions aussi importantes pour une communauté soit adoptée par des personnes non élues et, plus troublant encore, qu’elle aille à l’encontre de l’avis de la presque totalité des membres d’un conseil municipal démocratiquement élu et bien au fait de la situation de la communauté visée. Danielle Simard, la conseillère municipale de Montbeillard ne cache pas sa déception.

Selon elle, faute de souplesse, «la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles restreint le développement rural». Indignée, elle déplore qu’à Rollet, dont elle est également la conseillère, deux projets de construction de maisons se soient butés, tout récemment, aux décisions de la CPTAQ. Le conseil de quartier de Montbeillard, dont l’avis n’a pas été sollicité dans cette affaire, préconise, lui, le dézonage d’une bande de terre le long de la route nationale et que le schéma d’aménagement, en cours de révision, autorise une construction par lot. Quoiqu’il advienne de ces recommandations, pour Nancy et sa famille, il est désormais trop tard. Pour Montbeillard également.

Source: Le Trotteur, volume 9, numéro 4, février 2007, Solidarité rurale Abitibi-Témiscamingue.

Commentaires

Dénoncer la bêtise

Merci d'avoir dénoncé la bêtise Monsieur.
C'est à force de persévérance que des élus et des citoyens parviendront à changer les choses dans un Québec de plus en plus sclérosé. Un beau témoignage.